Mon nom de la musique c’est Jean-Paul Laulan, mais mon vrai prénom c’est Paul. Je suis né le 9 septembre 1945 à Bordeaux, peu après la libération… J’ai travaillé dans le commerce de la musique et comme batteur. J’ai mené de front ces deux activités.
Je travaillais le jour et la nuit ! Mon vieux père me disait…Tu travailles trop ! Aujourd’hui ...On ne le dit plus trop aux enfants !...
J’ai passé mon enfance à Bordeaux J’y ai pris des cours de batterie avec un professeur avant de faire le conservatoire dont le directeur était un cousin par alliance… En effet, la marraine de ma Mère s’appelait Mme Carrère et son mari était le chef d’orchestre du Grand Théâtre de Bordeaux. Il était également professeur de violon et le directeur du conservatoire de Bordeaux. À Bordeaux, j’ai joué avec des orchestres de Rock, de Jazz et notamment avec Christian Morin qui jouait plutôt bien de la clarinette.
Un jour j'ai commis une bourde ! Il est venu un jour dans mon magasin parisien et je ne savais même pas qu’il animait la célèbre émission de télévision « la roue de la fortune » Il a cru que je blaguais ! Une de ces blagues un peu bête que j’affectionne.
Qu’est-ce qui vous a décidé à jouer de la batterie ?
Mon père a fait de nombreux voyages aux US et a vécu à la Nouvelle-Orléans.
Nous écoutions très souvent du Jazz à la maison. Nous écoutions Sydney Bechet, Lionel Hampton…
Un jour, encore petit, il m’a emmené au cinéma voir un film où Lionel Hampton jouait et jonglait avec les baguettes. Cela m’a donné le déclic.
J’ai voulu faire comme lui et j’ai eu pas mal de bosses sur le front avec les baguettes qui me retombaient dessus !
Après avoir fait un peu de solfège et de la clarinette, je me suis finalement mis à la batterie je crois juste pour ennuyer ma Mère. Contrairement à mon père, elle avait horreur de la musique et du domaine artistique !
Quand j’ai eu un peu de succès dans la musique en jouant dans les orchestres de Bordeaux et en direct dans une émission de l’ORTF, je pense bien qu’elle a finalement trouvé que ce n’était pas une si mauvaise idée !
Quelles ont été tes premières expériences professionnelles ?
J’ai commencé à jouer aux alentours de 14 ans dans des groupes et à 16 ans avec des professionnels alors que je terminais mes études où disons plutôt que mes études étaient en train " de me terminer ! "
Bien qu’ayant fait le conservatoire j’ai toujours été un mauvais lecteur. Heureusement j’avais " de la feuille ". Peut-être que je n’ai pas assez travaillé, mais c’est une chose comme les mathématiques, quelque chose que je n’ai pas intégré. C’est avec un petit peu de lecture mais surtout grâce à ma mémoire et à une forme d’intuition que j'ai fait l’affaire !
Après je suis parti à l’Armée. J’ai fait les EOR puis j’ai été muté à Poitiers où ils cherchaient un batteur pour l’orchestre des officiers…On jouait du Glenn Miller et quelques morceaux de Count Basie… Mais mon activité de batteur a été interrompue parce que j’ai développé une primo infection qui m’a envoyé à l’hosto pendant près de 18 mois...
Comment s’est passé le retour vers le métier ?
Heureusement, à la sortie de l’hôpital, j’ai un vieux copain qui faisait la saison au Club Med qui m’a proposé de jouer avec lui au Club de Val- d’Isère.
Nous avons continué nos périples au Club et nous avons eu une belle affaire avec le pianiste René Urtreger qui voulait se faire des vacances... À l’époque pour vivre, il jouait de la variété avec Claude François. Nous avons joué ensemble pendant près de 6 mois en Israël.
René a été un père pour moi. Il m’a fait travaillé, il m’a raconté sa vie…
Il est "jazz" et il a même un fils qui s’appelle Philippe en hommage à Philly-Joe Jones…
Il m'a fait travailler un grand nombre de standards… J’ai eu beaucoup de chance. Je ne crois pas n'avoir rien provoqué… Mais je suis tombé dedans !
Une fois de retour à Paris, j’ai rencontré des musiciens comme le saxophoniste André Villégier et Jack Starling, le pianiste attitré de John Richmond.
Avec eux j’ai joué dans les derniers moments des bases américaines.
Avez-vous joué dans quelques endroits mythiques de la capitale ?
Oui, j’ai eu la chance de jouer avec Benny Waters et Al Livra à la Cigale à Paris. Le batteur de la Cigale n’était pas très motivé mis à part qu’il était le copain de la patronne… Dés qu’il me voyait arriver, il me passait les baguettes. Cela m’a permis de jouer avec plein de gens supers !
Quand je suis arrivé à Paris en 1967, il fallait presque 3 années d’attente pour avoir le téléphone ! J’étais obligé d’aller au marché des musiciens… Ça se faisait en direct… C’était un peu comme à la criée… J’ai besoin d’un batteur !… Oui je suis là ! Et l’on se faisait sa réputation.
Le mardi soir, j’allais au marché des musiciens à Pigalle pour faire des cachetons de variétés et le vendredi soir en face de l’ancienne Halambra, à la Renaissance, en haut de la rue René Boulanger près de la République...
J’avais un bon copain, Jean Paul Bataillé, qui jouait avec Michel Berger et Daniel Balavoine - qui était l’un de mes meilleurs amis - … J’ai été " con " car je ne voulais pas jouer autre chose que du Jazz... Et pourtant Daniel me relançait sans cesse… " Tu devrais venir faire de la variété avec nous…" Mais j’étais sous l’influence du Jazz…
Avec quels autres musiciens de jazz as-tu joué dans les clubs parisiens ?
J’ai travaillé…. Non plutôt j’ai joué avec Serdabi et aussi parfois avec le pianiste antillais Alain Jean-Marie.
Une autre belle aventure c'était les soirées au Méridien. J'étais le remplaçant attitré de mon copain Teddy Martin, le batteur des " Petits Français ". Parfois Moustache y jouait aussi la batterie… Et dans ce cas Teddy prenait le violon… Au Méridien j’ai joué avec Joe Henderson… Teddy m’avait en amitié, mais il fallait « faire l’affaire » !
J’ai également souvent joué avec Milt Buckner (vibra, orgue, piano)… Milt était un musicien assez imprévisible.
Qu’allons nous jouer ? Question bête d’un batteur remplaçant !
J’ai demandé à Daniel Amelot, le bassiste… Il m’a répondu : « - Je n’en sais rien… Ce n’est jamais la même chose… Tu verras bien ! «
Et l’ambiance c’était : « - Are you ready sirs… 1,2,3,4… ». Ça partait et il fallait assurer. Tout était au pif…
Comme Teddy savait que j’avais un magasin de musique et que je ne pouvais pas lui piquer l’affaire, j’étais le remplaçant idéal ! C’était calculé tout ça… Et comme il savait que j’allais m’appliquer et qu’il n’aurait pas de réflexions cette histoire à duré très longtemps.
C'est ainsi que j’ai pu jouer avec des musiciens américains dont j’achetai les disques quand j’étais gamin ! Je ne sais d’ailleurs pas, si j’avais fait le seul métier de batteur si cela serait arrivé !
Tu as également joué souvent avec Memphis Slim ?
Menphis Slim…, Oui, c'est un type qui m’a marqué. Le Boogie-woogie… Une forme de Jazz certes, mais il y a plein de batteurs jazz qui ne jouent pas le Boogie.
Moi j’adore ça !
Memphis était d’un prime abord quelqu’un d’assez froid. Mais aussi finalement quelqu’un de très chaleureux une fois qu’on le connaît.
On s’entendait bien… Il appréciait notre connivence car j'essayais de deviner ce qu’il allait jouer !
Il a beaucoup voyagé dans tous les pays du monde… Je baragouinais pas mal de mots dans pas mal de langues…Et nous en faisions des sketchs avec ça…Même en Hébreux… J’ai un certain sens du spectacle. Je ne suis pas du genre de musicien à faire la gueule… J’ai essayé de rester simple et un peu blagueur dans mon activité…. Par exemple, je présentais Memphis comme mon petit frère… Cela le faisait marrer parce qu’en termes de gabarit…C’était une sacrée baraque !
Les plus grandes années avec Memphis furent aux " 3 maillets ". Et aussi avec Mickey Baker aux " Chevaliers du Temple ".
Vous communiquiez comment dans la vie quotidienne ?
Lorsque Memphis discutait des contrats, il parlait parfaitement bien le français. Par contre le reste du temps, il ne me parlait jamais en français !
Memphis Slim roulait en Rolls Royce ! Bien sûr, il conduisait lui-même son bijou !
Un jour en remontant sur l’autoroute du Nord, un musicien installé à l’arrière, passablement fatigué s’était assoupi. Slim roulait à fière allure et les motards l’ont fait s’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence… Ils ont réveillé le passager qui s’est entendu dire :
« Pardon Monsieur, vous ne pourriez pas demander à votre chauffeur de rouler un peu moins vite ! «
Depuis ce jour-là, vexé, Memphis, ne pris plus de musiciens sur le banquette arrière !
Tu as eu une activité d’enseignant également ?
J’ai donné des cours au CIM en 1978/1980.
J’ai rencontré Guy Hayat dans un club de la rue des rosiers alors qu’il jouait avec Bud Powell.
Il m’a proposé de faire le bœuf et après quoi, il m’a demandé quelle méthode j’avais travaillée. (Il possédait toutes les méthodes de batterie du monde !)
Je lui ai répondu: Roach, Blakey, Cattlet … Il fut interloqué ! il ne les avait pas ces méthodes ! Mes méthodes à moi c’était les disques !
Un jour, il me dit que ma technique plutôt classique compléterait bien les cours qu’il donne au CIM. Alain Guerini a sauté de joie !
Le CIM, rue Doudeauville à Paris, était installé dans un ancien bordel. Finalement cela va bien avec le jazz parait-il !
C’est la ville de Paris qui a subventionné le projet. M. Chirac est plutôt amateur de Jazz. J’ai eu une petite classe de 10 élèves. Des cours de 2 heures où j’enseignais les rudiments… Guy Hayat avait lui fait l’école de Berkley.
Tu as des souvenirs de tes élèves ?
Je me souviens, j’avais 2 filles dans le cours. C’était plutôt rare !
Il m’arrivait de dire aux gars : Écoutez les filles… Elles jouent super… Elles ont bossé elles !...
Tu les as retrouvées ?
Oui, 3,4 ans après, l'une d'elle entre dans ma boutique. Elle me demande une Caisse-claire. Une ludwig. s'il vous plait !
Je lui ai proposé de la faire sonner… Mais elle m’a répondu qu’elle avait ses baguettes… Et elle me fit une démo de caisse-claire a tomber sur le derrière… Je ne l’avais pas reconnue mais c’était une de mes ancienne élève qui a eu la gentillesse de me dire que c’est avec moi qu’elle a appris ! En fait je lui ai juste enseigné les rudiments.
Je lui ai donné des clefs, mais c’est elle qui a su ouvrir les portes : celles des Percussions de Strasbourg !
Une autre fois au Salon de la Musique, Il y a un type qui visitait avec toute une bande de pros comme Philippe Lalite autour de lui.
Lorsqu’il me vit, il interpella ses copains en disant : Vous voyez, ce type, c’est lui qui m’a tout appris ! C’était Mino Cinelu ! Je lui ai demandé d’arrêter de dire des conneries.
Je me souviens en effet, quand je travaillais chez Major, rue Duperré à coté de la place Pigalle qu’il venait me voir et me demandais de jouer un peu de batterie… Il me demandait de détailler plus doucement etc… Et il ose prétendre que je lui ai tout appris !
Un autre jour également, au théâtre du Gymnase je suis venu livrer des pupitres. j’ai retrouvé ma deuxième élève du CIM à la batterie avec l’Orchestre du Splendide …
J’ai un élève, Degas… Comme le peintre… Qui un jour m’a appelé des US pour me dire qu’il jouait avec Chick Corea ! Lui c’était un bosseur…
Qu’est-ce que tu aimes le plus dans la musique ?
Le groove ! Le sens musical ce n’est pas au kilo de notes que ça se joue… Prenez l’exemple de Count Basie… Une note et...On tombe à terre !
Je ne suis pas uniquement fan de jazz. J’écoute aussi Stravinsky, Brahms, Rossini…Mais il y a des musiques qui ne me plaisent pas pour l’instant… On verra dans 150 ans… Je ne veux pas être sectaire.
Pour vous quel est le rôle du batteur dans un orchestre ?
La batterie... C’est le métronome de l’orchestre mais surtout il faut donner la pulsion. Le batteur c’est un peu le chef d’orchestre…
Prenez un même thème, le même orchestre et changez le batteur… Cela ne sonnera pas du tout pareil ! Je ne m’attribue pas cette vérité !
Quels sont tes batteurs préférés ?
Je crois que l’orchestre de Basie n’a jamais aussi bien sonné qu’avec Butch Miles à la batterie.
Je trouve que Butch Miles donne une impulsion qui s’enlace formidablement avec le jeu de Freddy Green à la guitare rythmique. Ils jouaient avec une grande complémentarité.
Une petite anecdote…Le pauvre Freddy Green, comme il ne faisait que la pompe, était payé moins cher que tous les autres alors qu’il est indéniablement responsable du swing de l’orchestre…J’aime bien aussi ce couple avec ce côté « black & white »… Un grand noir et un blondinet qui swinguent terribles !…
Peux-tu nous parler de tes premiers pas de vendeur dans les magasins de musique parisiens ?
J’ai commencé avec André Leprêtre chez Central Rythmes place Pigalle. Je travaillais à l’époque, en 1967, à la Samaritaine ou je vendais des radios et de la Hifi.
C’est Jean Paul Bataillé m’a mis en contact avec lui. André Leprêtre a hésité, peut-être par ce qu’il n’avait pas les sous pour me payer, mais il m’a fait passer un test…
Il a sorti un tiroir plein de tirants et de pièce d'accastillage de batterie et il m’a demandé : C’est quoi ça ? : Gretsch !, Et ça ? Asba ! Et ça ? Ludwig ! Et là il tombe ! Ok ! je t’engage. André Leprêtre était très avenant… Il n’était pas jaloux et savait reconnaître les compétences. J’ai finalement été un peu son homme de confiance.
Quand il partait au Club Med, je tenais la boutique et il ne manquait pas un rond dans la caisse ! C’est mon premier emploi dans un magasin de musique de surcroît principalement accès sur la batterie.
Tu n’as pas fait ta carrière chez Central Rythmes ?
Au fil du temps, j’ai eu des contacts avec des artisans français comme Asba, Capelle, Gary etc… C’est Monsieur Casadei, le fabricant des batteries Gary installé dans le faubourg Saint-Antoine à Paris qui m’a donné une deuxième piste chez l’importateur Ludwig. Major Conn rue Dupérée, dirigé par Monsieur Ardourel importateur Ludwig, Fender, Olympic (Premier) etc… Et ça valait le coup… Je suis donc entré chez Major Conn en novembre 1969. Le patron m’a fait prendre des photos en costume à côté du matériel pour une publicité dans Rock’n Folk et ça à fait un carton !… Tous les meilleurs batteurs de Paris venaient chez moi ! Il y avait André Ceccarelli, Pierre Alain Dahan un des principaux batteurs des studios de Paris etc…
Cela à très bien marché comme cela durant des années jusqu’au moment où M. Ardouel, arrivé à l’âge de la retraite fini par vendre sa boutique au patron de la Maison du Jazz, Philippe Nicoli. Un nouvel essor car Philippe Nicoli était le fils des créateurs de JMF (Jeunesse Musicale de France) et son père était Directeur de l’Opéra Garnier.
Je me suis donc retrouvé à m’occuper des percussions de l’Opéra et à leur fournir les instruments, notamment Musser filiale de Ludwig.
Comme les musiciens voulaient avoir une idée de comment ça sonnait dans la salle, ils me demandaient de faire sonner tous ces instruments… Tant bien que mal …
Je quitte finalement Major pour rejoindre Drums Market qui appartenait à Jacques Capelle et dont le gérant était Pierre Bretelstein.
Léon Agel ferme sa boutique vers 1978 la revendant à Cavagnolo (accordéons) et ses éditions à Beuscher.
En 1981 j'ouvre Music One à la porte Saint-Martin dans l'ancien magasin de Léon Agel. Cela a bien fonctionné et j’ai revendu le magasin en 1989, pour m’installer rue de Douai, dans le quartier traditionnel des magasins de musique à Paris. Mais là je ne vendais plus de batteries. J’étais à côté de Philippe Lalite de la Baguetterie… Et le magasin était trop petit…
Dans les années 80 je gagnais bien ma vie. Je prenais l’avion comme le taxi ! Mon activité était florissante.
Lorsque j’organisai des fêtes au « Ranch » nous ouvrions les bouteilles de champagne sans compter ! Du travail mais la belle vie aussi. La vie de mon magasin de musique était dynamique. C’était un magasin certes, mais aussi un lieu où répétaient des orchestres et on y donnait quelques cours.
Je crois que c’est parce que je faisais aussi un peu le métier et que j’étais proche des musiciens - pas uniquement un commerçant - que mon affaire a bien tourné.
© Philippe Nasse.